REFLEXIONS. La mobilité, facteur de la croissance.
- laurenttrail94
- 3 juin 2020
- 3 min de lecture
La mobilité géographique est au cœur des réflexions autour de la diffusion de la pandémie. Le Gouvernement apporte des éléments de réponse pour élargir cette mobilité à l’intérieur des frontières, mais la question de la mobilité internationale des biens et services, sans parler des hommes va devenir un frein potentiel à un retour de la croissance à long terme. Rappelons que cette globalisation décriée a permis d’améliorer le ROCE des groupes qui ont su réallouer leurs capitaux employés vers des zones à bas coûts, tout en s’ouvrant un marché domestique en contribuant à la hausse de pouvoir d’achat de ces pays émergents. Le phénomène naturel de retour à l’équilibre à terme justifie que ce jeu soit moins attractif aujourd’hui qu’il y a 20 ans. Toute la croissance de la Chine s’est appuyée sur cette mobilité, concomitante de son adhésion à l’OMC en 2001. La circulation des biens et services pour l’OMC avait une composante non-dite autour de la circulation des travailleurs (qui fournissent un service) comme l’Europe s’est construite essentiellement autour de cette libre-circulation : 10% des habitants européens ne vivent déjà plus dans leur pays, et l’ouverture des frontières dans l’espace Schengen depuis 1995, et à l’opposé le Brexit, illustrent le basculement que nous sommes en train de connaitre vers une réduction de la libre circulation. Les Etats-Unis ont déjà ouvert ce front avec la remise en cause des règles de l’ALENA sur la libre circulation des travailleurs, la fermeture des frontières terrestres avec le Mexique et aérienne pour raison de Covid. L’expansion de la mobilité internationale étant pour un temps enterrée les conséquences sont multiples :
1) Une hausse des contrôles (aux frontières) avec un temps de déplacement accru pour les biens et personnes. Tous les systèmes de reconnaissance digitale, oculaire, facial, scanner ont de beaux jours devant eux.
2) La productivité des entreprises locales est affectée notamment par une inéquation entre l’offre et la demande. Nous l’observons avec la question des travailleurs saisonniers qui ne peuvent venir dans les exploitations agricoles. Les alternatives sont complexes à trouver. N’avons-nous pas d’ores et déjà depuis des siècles construit une spécialisation du travail ? Tel pays a une culture de tel travail, tel autre de tel autre spécialité. Cela a tendance à disparaître avec l’homogénéisation des systèmes scolaires mais cela perdure encore un peu.
3) Le coût du travail est éventuellement relevé, sans que cela garantisse un optimum économique : A partir de quel salaire allons-nous devenir ouvrier agricole saisonnier ou pour un autre métier (pensons aux médecins) avec quel temps de formation? et cela suppose que l’on revienne au modèle du 18/19ème siècle avec de grandes migrations à l’intérieur du territoire national. C’est déjà ce qui existe en Chine ou aux USA avec les villes de mobile homes…
4) Cette mobilité à l’intérieur des frontières (que l’on peut fixer nationalement ou dans un groupe de pays tel que l’espace Schengen) ne va-t-elle pas de pair avec un éclatement du code du travail et une uberisation du travail ? J’avais abordé le thème dans le Réflexions sur le télétravail, et l’externalisation de certaines fonctions ou activités. De manière assez paradoxale cela explique peut-être pourquoi des groupes qui devraient profiter de ce phénomène, les SSII, sous-performent depuis quelques temps : Si le hub de Mumbai devient moins attractif, de nouveaux entrants locaux pourront-ils s’imposer ? Les grandes SSII qui ne pourront plus jouer sur l’arbitrage du coût du travail (salaire mais aussi normes, règlements) pourraient être les premières victimes de cette moindre mobilité.
5) Le secteur des services locaux aux entreprises (à la Spie) que je différencie justement des SSII qui vont offrir un service délocalisé pourrait profiter de cette mobilité locale, pour être le partenaire naturel des entreprises.
Si l’on considère que les critères ESG vont s’imposer dans la gestion des entreprises, ce critère de la mobilité des personnes va être au cœur du débat. Accepter un renchérissement du coût du travail ici, pour qu’il baisse de nouveau là-bas ? C’est recréer un déséquilibre qui conduit à deux effets bien connus : de grandes migrations illégales pour rechercher du travail / un accroissement des conflits pour avoir accès à un nouveau marché du travail.
A demain,
Laurent
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