REFLEXIONS. En mai, fini les remises de prix, c’est la hausse qui est de mise.
- laurenttrail94
- 18 mai 2021
- 6 min de lecture
Pour parler d’inflation, comme le disait Marie-Antoinette, revenons à nos moutons (souvent de Panurge en ces marchés), à savoir la définition selon l’INSEE :
L'inflation est la perte du pouvoir d'achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix. Elle doit être distinguée de l'augmentation du coût de la vie. La perte de valeur de la monnaie est un phénomène qui frappe l'économie nationale dans son ensemble (ménages, entreprises, etc.).
Nous sommes à un véritable tournant du cycle économique, qui a commencé avec l’arrivée de la pandémie dans les économies occidentales à partir d’avril 2020. A cette date nous avons constaté, sans en prendre conscience, que la valeur était certes une fonction de l’utilité et de la rareté, mais que cette rareté pouvait affecter des biens et services de consommation courante voire très courante, et non pas seulement des biens prédéterminés comme rares (métaux précieux, art). Il fallait alors agir vite, sans discuter les prix.
2 illustrations clés :
Le masque chirurgical voyait son prix multiplié par 50 à l’échelle planétaire (première manifestation de hausse des prix globale). Premier arrivé, premier servi, paiement comptant.
La négociation autour des doses de vaccins se retournait contre ceux qui souhaitaient rentrer dans un process long et traditionnel de contrat cadre sur long terme (l’Union Européenne), quand les pays qui concluaient tout de suite, sans négocier les prix, un accord avec les Pfizer et Moderna, remportaient la garantie d’avoir les premières doses produites (USA, Israël).
Ajoutons que
Ce phénomène s’est accompagné d’une politique d’assouplissement quantitatif massif qui a inondé les marchés de monnaie fiduciaire, encourageant l’acquisition de biens physiques, questionnant la valeur des monnaies papier (c’est le début du rebond des crypto-monnaies).
Le comportement de stockage s’est accentué avec les interruptions de ligne de production, que ce soit pour des raisons météo (Texas cet hiver), incendie (usine Renesas au Japon), guerre commerciale (semis) ou pandémie qui conduit plusieurs zones à se refermer quand d’autres s’ouvrent (l’Asie aujourd’hui, l’Amérique latine cet été ?). Pour que l’économie revienne fluide, comme avant, il faudra justement que la situation sanitaire soit comme avant, ce qui veut dire été 2022, été 2023 ? A ce moment-là les comportements auront déjà pris le pli du risque non plus conjoncturel mais structurel de ruptures, fractures à venir qui rendront la crainte inflationniste imbriquée dans nos raisonnements.
=> Ceci a complètement bouleversé l’approche traditionnel de « Just in time » ou méthode Kaban, qui a bercé nos années d’études. Le gagnant redevient celui qui stocke (Toyota avouera avoir surstocké des semis depuis plusieurs années, exactement l’inverse de la méthode Just-in-Time, le titre surperforme de 8% depuis), qui ne négocie pas les prix mais achète tous les stocks disponibles pour disposer d’un avantage compétitif vis-à-vis de ses concurrents : la disponibilité produits. Vendre quand les autres ne peuvent pas. Peu importe la marge ou le CF généré, à partir du moment où l’outil de production est utilisé à 100%.
Ceci est certes encouragé avec un loyer de l’argent à zéro mais ne sera pas remis en cause même si les taux corporate devaient remonter à 5% : En mettant la main sur des ressources dont vos concurrents ne pourront pas disposer, vous êtes celui qui peut fixer les prix, et donc faire passer cette hausse du coût de l’argent dans le prix final.
La hausse de l’inflation est dès lors un facteur qui s’auto-alimente et gagne en force au fur et à mesure que les taux restent bas ou sont remontés.
Le ralentissement de la politique de rachats d’actifs des banques centrales ira de pair avec la fin d’une financiarisation de l’économie si nous considérons que l’acheteur marginal (les Banques Centrales) de produits de taux ou actions disparait.
Si nous acceptons ce changement de régime micro cela signifie que le facteur primordial dans l’analyse financière ne devient plus la gestion du CF, la génération du FCF, mais la croissance de CA et la hausse du BFR ! Exactement l’inverse de ce que nous faisons depuis 30 voire 40 ans. C’est la raison pour laquelle, en termes d’analyse financière la période actuelle est si passionnante. Entraînant des mouvements boursiers parmi lesquels :
Un rebond massif net durable des taux longs (première période de pentification à laquelle nous assistons) qui sera suivie d’une hausse des taux courts toute aussi massive quand ces prévisions de hausse des prix s’ancreront parmi les Banquiers Centraux. Comme l’inertie pour remonter les taux est toujours beaucoup plus forte que pour les baisser, cela prendra encore plusieurs mois mais dans un premier temps nous aurons un ralentissement, dès cet été, des rachats d’actifs concomitamment à l’arrêt du soutien de l’économie par les Etats (de manière à essayer de juguler l’inflation salariale induite par les plans de soutien à l’emploi, et au maintien d’entités non-rentables).
La dépréciation de la monnaie induite par cette inflation sera la plus forte chez les pays ayant l’inflation la plus élevée (logique macro) donc les USA et la GB, où la tradition inflationniste est bien ancrée. Le dollar qui a déjà chuté de presque 20% sur son point haut (1,04€/$), pourrait comme à chaque changement de politique monétaire perdre 20% supplémentaire (voir en 2009 ou dans le sens inverse en 2014). La BCE réagira comme toujours avec retard, préférant une monnaie forte à une monnaie faible, tandis que la Chine en maintenant un Yuan fort chercherait à s’imposer comme la monnaie stable du Monde, et gagner un statut de vraie monnaie de réserve (somme toute ne vaut-il mieux pas avoir du Yuan que du bitcoin en portefeuille ?)
Je passerai sur l’impact, connu, que cela aurait sur les marchés émergents, les matières premières, le pétrole, sur les valeurs d’hyper-croissance à PE très élevés, tous les thèmes sur lesquels le levier a été maximum à la faveur de la déflation et politique de baisse des taux (immobilier, renouvelable) pour me concentrer sur les vrais et nouveaux gagnants de ce monde d’après.
Toutes les activités de courtage, intermédiaires vont connaitre une explosion des multiples : savoir qui a du stock, est prêt à le vendre, va redevenir fondamental si d’activité marginale (répondre à des pics de production) l’achat de gré à gré redevient sinon majoritaire (le modèle économique actuel ne le permet pas) mais au moins plus courant.
Les activités de fret (bateaux, camions, containeurs) et bourses (Clarkson), ventes aux enchères (autos par exemple). Mais aussi les groupes de travail temporaire et intérimaire.
Toutes les activités d’entreposage qu’il s’agisse des entrepôts (l’interruption de la pipeline et l’épisode de froid au Texas ont rappelé l’importance des stocks énergétiques, or les énergies fossiles sont les seules que nous puissions stocker en quantité) ou de l’immobilier commercial.
Les groupes qui disposent de capacités de production marginales (augmenter les prix est bien, vendre plus cher, c’est mieux). C’est probablement ce qui sera le plus complexe à trouver parmi les grosses capitalisations, bien gérées en termes de capitaux employés. Il faudra chercher vers les midcaps, fournisseurs, qui disposent de la réactivité suffisante.
Les groupes qui disposent d’un levier opérationnel important : cela passe des télécoms, aux services publics traditionnels (la fusion Suez/Veolia apparait dans ce contexte arriver au bon moment), en passant par la distribution alimentaire.
Les groupes qui disposent de la liquidité marginale qui fera défaut si les banques centrales ne la fournissent plus : banques (mais attention à la forte remontée du risque crédit) et surtout assurances, le ratio de solvabilité actuel permettant d’absorber ce premier choc de taux, avant de profiter de ce relèvement de la courbe des taux.
Les groupes intégrés verticalement retrouveront un avantage compétitif conséquent entrainant une hausse des multiples (on peut penser aux groupes chimiques ou matériaux de construction) à l’identique des modèles des années 60 et 70, périodes de forte inflation.
En conclusion ce contrepied à tous les modèles de valorisation financière ne va pas favoriser plutôt les cycliques que les valeurs de croissance, car libre à chacun de reprendre une politique de gains de parts de marché, reconstitution des stocks plutôt que d’optimisation des ROCE et du FCF: c’est un exercice beaucoup plus périlleux que le Just in Time, car les erreurs de produits ou anticipations se soldent par de massifs besoins de refinancements (ce qui alimentera aussi une hausse des spreads corporate) et vont accroitre la volatilité autour des publications trimestrielles. Se posera alors de nouveau la question de l’intérêt de publications financières rapprochées, considérant que l’entreprise sur un trimestre peut être en période de reconstitution des stocks, et le suivant en période de forte croissance des ventes.
L’analyse financière traditionnelle va devoir s’adapter à ce nouveau paradigme, et il va nous falloir chercher dans notre boite à outils de nouveaux instruments (ratios de pricing power, multiples de croissance des volumes).
L’alliance de la gestion quantitative avec la gestion fondamentale devrait par ailleurs définitivement s’imposer. C’est sur ce terrain que vous allez très prochainement me retrouver.
A bientôt.
Laurent
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