REFLEXIONS. Il y a guerre d’indépendance
- laurenttrail94
- 21 mai 2020
- 4 min de lecture
La crise des assignats, citée hier, a eu pour conséquence en 1800 la création de la Banque de France par Napoléon. Organisme indépendant à capitaux privés (les 200 familles), elle réussit à conserver son indépendance jusqu’en 1936, pour la recouvrer en 1993 et surtout 1998 au moment de la création de la BCE. Or hier la décision de la Cour constitutionnelle de justice allemande demandant des justifications à la BCE sur sa politique d’assouplissement quantitatif illustre la perméabilité qui existe entre QE et indépendance des banques centrales. La situation actuelle va-t-elle conduire à cette guerre d’indépendance et remettre en cause une confiance acquise depuis 220 ans (la Bundesbank n’a « que » 63 ans et le Fed 107 ans)?
Ce thème politique, mettre fin à l’indépendance des banques centrales et en faire un vecteur de financement des finances publiques, défendu par l’aile gauche du spectre politique a trouvé par ailleurs aujourd’hui un écho avec l’intervention (dans le Monde daté d’aujourd’hui) de M. Laurent Berger, responsable de la CFDT, proposant d'« isoler cette dette Covid en Europe », de « la mutualiser au sein des pays européens » et de « la rendre perpétuelle ». C’était déjà le discours de M. JL Mélenchon lors des dernières élections présidentielles.
Or c’est dans cette opposition entre 2 systèmes, outil au service de ou des Etats vs organisme indépendant qui constitue le principal risque pour les marchés sinon dans les mois, probablement dans l’année à venir.
Nous avons bien sur l’actualité des Corona Bonds qui sont défendus par les Etats du Sud de l’Europe, soutenus par la France et refusés par les Etats du Nord, avec l’Allemagne en tête de pont. Mais cela me semble presque anecdotique, par rapport au véritable risque induit par la remise en cause de l’indépendance de la Fed. Si nous acceptons que le « la » est donné depuis 20 ans par la Fed sur les marchés financiers, alors qu’auparavant le FMI ou les clubs de Paris et de Londres avaient une influence prépondérante sur la gestion des crises de solvabilité, un affaiblissement du pouvoir de M. Jérôme Powell lors d’un deuxième mandat de M. Donald Trump affaiblirait structurellement le crédit accordé à ce garant de la stabilité monétaire. Depuis novembre dernier et la réaffirmation par M. Powell à l’issue d’une réunion avec le Pt Trump que les décisions de la Fed se prenaient en dehors de considérations politiques, la polémique est un peu retombée mais elle avait fait rage de la fin 2018 à mi 2019. Elle pourrait probablement revenir début 2021, avec pour le nouveau/ ancien président un calendrier de 4 ans devant lui. Et toute latitude pour interférer dans un domaine qui lui échappe jusqu’à présent, la capacité de fixer les taux d’intérêts directeurs.
Nous avons un précédent récent avec le remplacement du directeur de la banque centrale turque par M. Erdogan l’été dernier, avec la défiance envers la monnaie qui s’en est suivie (pour atteindre un point bas historique aujourd’hui). Avec un double axe d’attaque par le Président américain, sur 1) les taux emprunts négatifs pour qu’on le paie pour qu’il dépense, et 2) un affaiblissement du dollar, pour assurer l’expansion du commerce extérieur américain, nous pourrions en 2021 avoir une surréaction des deux, taux et devises.
Acceptons donc que nous avons aussi depuis mars et la mise en place du « Pandemic Emergency Purchase Program » un premier accroc de cette indépendance de la BCE, renforcée éventuellement par le lancement des Corona bonds. Cet instrument mutualisant la dette, est moins contraignant politiquement que le Mécanisme Européen de Stabilité et son fonds de 400 Mds€ et plus large que le QE qui profite seulement aux pays du Sud au prorata de leur poids dans le capital de la BCE (aux alentours de 13% pour l’Italie vs 21% pour l’Allemagne). Mais la limite de ce financement européen réside justement dans le périmètre concerné : Si la pandémie est globale, le plan de refinancement par Corona Bonds devrait être global, manière aussi de ne pas laisser les pays émergents sur le coté, tout en évitant une énième suppression de la dette. Alors cet emprunt international, avec une duration longue qui pourrait émis, par exemple, par le FMI permettrait 1) une vraie diversification du risque, et surtout comme indiqué hier 2) de rechercher des acheteurs marginaux, le particulier. Cela semble utopique dans un monde qui parie sur le bilatéralisme au mieux, sur le chacun pour soi au pire mais tout en garantissant l’indépendance des banques centrales, cela permettrait que nous réaffirmions notre interdépendance, et diffusions le risque de récession.
Le risque sanitaire et la pandémie nous rappellent que nous partageons une communauté de destin, mais que la confiance dans l’avenir réside aussi dans la capacité à trouver de manière indépendante et sans contrainte politique les solutions, comme dans le cas présent, pouvoir déterminer l’origine du virus et fabriquer d’autant plus facilement un vaccin. Laissons nos laboratoires, nos médecins comme nos banques centrales, travailler entre eux, expliquer et innover. Ils n’ont pas besoin des politiques pour cela.
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